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Le mouvement Extinction Rebellion est aussi divers et riche que les rebelles qui y participent. Cet est espace « Parole de rebelles » est ouvert à toutes les contributions personnelles ponctuelles. Les avis exprimés ici par les rebelles sont personnels et n'engagent que leurs auteur·e·s et pas le mouvement Extinction Rebellion dans son ensemble (France et International).

Oui, oui, je sais. Le climat se dégrade. Ça presse. Une situation d’urgence. Il ne nous reste que quelques années pour le « réparer ».

En fait, nous ne le réparerons pas. Les conditions météorologiques deviendront de plus en plus instables et imprévisibles, et leurs effets sur l’agriculture à travers le monde seront dévastateurs, ce qui entraînera probablement des pertes de récoltes sur des continents entiers et une flambée des prix des aliments. Des millions de personnes souffrent déjà de ce dérèglement toujours plus important. Nous sommes confrontés à un effondrement imminent de la société (peu importe ce que cela signifie), dans le monde entier et au Royaume-Uni. Nos vies entières vont bientôt radicalement changer. Rien de tout cela n’est particulièrement controversé. Lorsqu’un autobus roule avec une certaine force vers une personne, il devient de plus en plus évident qu’il va lui rentrer dedans. Au-delà d’un certain point, c’est inévitable. Et voilà où nous en sommes aujourd’hui en ce qui concerne la dynamique du changement climatique. Le bus est sur le point de nous écraser. Nos vies sont sur le point de changer. Nous ne sommes pas certains de survivre ou non (en tant qu’espèce). De nombreuses espèces ont déjà été « écrasées ». Deux cents espèces disparaissent chaque jour.

Je suis membre d’Extinction Rebellion (XR) depuis le début. En avril 2018, je faisais partie des 15 personnes qui se sont réunies pour prendre la décision collective d’essayer de créer les conditions propices à une rébellion. J’étais coordinateur de l’un des cinq groupes de travail initiaux et, depuis, je suis dans l’organisation de XR jour et nuit (je vis avec frugalité sur mes économies sans avoir besoin de travailler, j’ai quitté un boulot payé 4500€ par mois). Et je fais partie de RisingUp (l’organisation dont XR a émergé) depuis la première action de RisingUp en novembre 2016. Je suis membre du groupe RisingUp Holding et membre de l’équipe XR Guardianship.

Et pour être complètement transparent, oui, j’assume : le paragraphe précédent dans lequel je ne parle que de moi a pour but de faire argument d’autorité - j’essaie de vous convaincre d’écouter ce que j’ai à dire…

Et je suis ici pour dire que pour XR, ce n’est pas vraiment une affaire de climat. Voyez-vous, la dégradation du climat est le symptôme d’un système toxique qui a contaminé nos relations en tant qu’êtres humains et celles que nous avons avec l’ensemble du vivant. Cela a été exacerbé lorsque la « civilisation » européenne s’est répandue dans le monde entier avec cruauté et violence (tout particulièrement) au cours des 600 dernières années de colonialisme, même si les germes de « l’infection » viennent de beaucoup plus loin.

Lorsque les Européens ont répandu leur toxicité dans le monde entier, ils ont semé la torture, le génocide, les carnages et la souffrance jusqu’au bout du monde. Leurs mythes culturels justifiaient les horreurs, telle l’idée que les peuples autochtones étaient des animaux (non-humains), et donc que Dieu nous avait donné un droit de domination sur eux. Cela a été utilisé pour justifier un génocide multi-continental de dizaines de millions de personnes. L’avènement de l’ère scientifique a vu cette situation s’empirer, tandis que le monde qui nous entoure a été de plus en plus perçu comme une matière « morte ». Nous le consommons maintenant plus rapidement que jamais.

Les Euro-Américains ont violemment imposé et enseigné de dangereuses illusions, qu’ils utilisent pour justifier l’exploitation et renforcer cette domination, tout en faisant taire toute vision du monde qui divergerait ou les remettrait en cause. La participation du Royaume-Uni dans ce domaine a été énorme, comme en témoigne la taille de l’ancien empire britannique et la domination de la langue anglaise dans le monde entier. Tout porte à croire que les préjugés raciaux quotidiens se poursuivent encore aujourd’hui en Grande-Bretagne. Il est utile de nommer certaines de ces illusions qui ont été gravées dans les sociétés et les institutions du monde entier :

  • L’illusion de la suprématie des Blancs se centre sur les Blancs : elle construit et perpétue le mythe selon lequel les Blancs et leur vie sont intrinsèquement meilleurs et plus précieux que les personnes de couleur.
  • Le délire du patriarcat se centre sur l’homme ; il exclut et entrave les assignées « femmes » (les réduisant à un objet de propriété ou de consommation). Le patriarcat enseigne les comportements de domination et de compétition, il insiste sur le fait que le monde est un lieu de pénurie, de clivage et d’impuissance.
  • Les illusions de l’eurocentrisme incluent la notion que les Européens savent ce qui est le mieux pour le monde.
  • Les idées délirantes d’ hétéro-sexisme / hétéronormativité propagent la pensée que l’hétérosexualité est « normale » et que d’autres expressions de la sexualité sont déviantes.
  • Les illusions de la hiérarchie des classes soutiennent la théorie selon laquelle l’élite riche est meilleure / plus intelligente / plus « noble » que les autres, et prend donc de meilleures décisions.

Il y a d’autres illusions. Ces délires se sont enracinés en chacun de nous et nous ont été transmis ou enseignés dès le plus jeune âge. Aucune de ces idées délirantes n’a pris fin, même si certains des arguments qui les soutenaient (par exemple la phrénologie) ont été dissipés. Elles continuent à se manifester à travers chacun de nous, dans nos relations, quelle que soit notre identité. La fierté actuelle de l’histoire de l’empire britannique, ou l’idée que les États-Unis sont du côté du « bien », continuent de permettre le néo-colonialisme en 2019, sous forme de plantations de palmiers à huile, de guerres de ressources ou de parasitage par le secteur financier, pour n’en nommer que quelques-unes. La tâche d’Extinction Rebellion est de dissiper ces illusions. Nous devons remédier aux causes de l’ « infection » et non pas simplement en atténuer les symptômes. Se concentrer sur la dégradation du climat (le symptôme) sans attirer l’attention sur ces illusions toxiques (les causes) est une forme de négationnisme. Pire encore, il s’agit d’une forme de négationnisme raciste et sexiste, qui détourne notre attention de la nécessité pour nous tous de nous décoloniser.

Mes ancêtres sont Européens, dont certains ont prétendu « posséder » des personnes qu’ils appelaient esclaves. Il y a des Noirs qui s’appellent Basden en Amérique et j’ai commencé à mobiliser ma famille (blanche) pour établir des contacts afin de payer des réparations. Cependant, ma propre responsabilité ne peut être entièrement payée par ce biais. La folie(1) coloniale se poursuit aujourd’hui. Elle continue dans l’extraction des combustibles fossiles, des minéraux et de l’eau de la terre. Elle continue dans la déforestation et l’agriculture industrielle. Elle continue à travers une impitoyable culture de la consommation, qui s’intensifie chaque Noël. Elle continue dans les expulsions et les déportations. Elle continue dans les relations avec ceux qui, autour de nous, perpétuent la séparation et la division.

Le résultat est l’isolement, la douleur et la souffrance. Ce résultat peut être constaté au niveau individuel – dans l’incidence endémique de solitude et de maladies mentales. Il se ressent aussi au niveau communautaire – dans le vol de terres à des fins de pillage et de profit par des banques et des sociétés basées principalement en Europe et aux États-Unis. Et il se ressent au niveau mondial – dans la pollution de notre air et de nos océans.

Extinction Rebellion n’a pas pour propos le climat. Il ne s’agit même pas de « justice climatique » (2), bien que cela soit également important. Si nous ne parlons que du climat, nous oublions les problèmes plus profonds qui sévissent dans notre culture. Et si nous n’amputons pas la cause de « l’infection », nous ne pourrons jamais espérer en guérir.

Cet article s’adresse à toutes les personnes impliquées dans XR qui se trompent parfois en disant que c’est un mouvement climatique. C’est un appel aux rebelles américains qui ont fabriqué une banderole portant l’inscription « Climate Extinction Rebellion » . C’est un appel aux équipes « XR Médias & Message » à être très vigilants sur les messages et de ne pas les réduire aux problèmes climatiques. C’est un appel à la communauté XR à ne jamais dire que nous sommes un mouvement pour le climat. Parce que nous ne le sommes pas. Nous sommes une rébellion. Et nous nous rebellons pour souligner et guérir de la « folie » qui mène à notre extinction. Maintenant, dites la vérité et agissez de la sorte.

banderole de XR USA portant l’inscription « Climate Extinction Rebellion »

**{:#note-1} J’utilise le terme « folie » avec précaution, dans le but de souligner le besoin de guérison. Les membres des Premières nations autochtones m’ont appris avec gentillesse à voir l’état d’esprit du colonisateur comme une maladie. En aucun cas je n’ai l’intention de marginaliser ou de discréditer l’expérience de personnes qualifiées de “folles” par un système normatif, ni qui s’identifient comme telles.

(2) La justice climatique fait référence à l’injustice selon laquelle ceux qui sont les premiers et les plus touchés par les phénomènes météorologiques extrêmes (les habitants des pays les plus pauvres, dont la majorité vit dans les pays du Sud) ne sont probablement pas ceux qui ont causé les émissions climatiques. (les personnes qui consomment le plus, y compris les cultures pathologiquement gaspilleuses de l’Europe ou l’Amérique du Nord, et les riches qui vivent / voyagent dans le monde entier).

Article original en anglais.